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L'HORIZON DES ÉVÈNEMENTS

 

 

 

Un vol de la Lufthansa au départ de Lyon à 13 heures allait arracher Léonarda du bus scolaire pour la balancer dans un bled du Kossovo, sans amis, sans souvenirs, au milieu d’un peuple sans état, honni. C’est là d’où venait son père qui la tabassait et l’envoyait mendier dans la rue. En France, où les poubelles sont généreuses, il n’est resté d’elle qu’un manque, une chaise vide dans une classe et quelques flaques de verre brisées par la révolte de jeunes lycéens. Puis son histoire s’est muée en saga politique, qui rappelait le pire des émissions de téléréalité.

 

Rue de la fantaisie, les lycéens du Lycée Monge La Chauvinière, indignés et animés d’une force séditieuse, balancèrent un pavé sur l'abribus publicitaire exhibant une créature à moitié nue, vide et sans vie. J'ai regardé fasciné, ce mobilier amoché, écorché par le désir de justice. Il ne restait plus qu’un corps déchiré et l’œil sans vie d’un mannequin Lise Charmel. Son ventre ouvert laissait paraître la lumière trompeuse d’une promesse de bonheur. Un geste décidé, furtif, métamorphosa l'abribus. J’ai aimé la violence, la fragilité et la beauté émanant de cet objet défiguré. C'était d'une force esthétique indéniable, l'expression poétique de la révolte sculptée dans la chair captieuse du monde. Par cet acte performatif, l'objet avait subit une altération artistique. L'abribus était changé en une installation « non domestiquée », « sauvage »*, affranchie de tous cadres, enveloppes et limites.

 

De ses brisures émergeaient des formes qui se transformaient en mots tel que Puissance, Révolte, Absurde, Résistance ; des mots errants, méprisés, violés et humiliés par le relativisme de notre petit quotidien. Mésestimés, ces mots s'étaient rompus dans la vacuité de concepts apathiques puis vidés, réduis à un acrostiche dans les ruines du langage. Cependant, à cet instant, ils m'apparaissaient vrais et irréfutables, prêts à cogner à la face du monde. Ils éveillaient le possible renversement d'un mythe habile magnant ingénieusement le sentiment d'impuissance. Je devais utiliser ces fragments de verre. Ils incarnaient une certaine beauté du désordre, une délicate joaillerie du sabordage; la destruction en tant que force générative, un potentiel à déployer: se matérialiseraient sous forme d'installations et de sculptures.

 

*la pensée sauvage est présente en tout homme tant qu'elle n'a pas été cultivée et domestiquée à « fins de rendement ».  Claude Lévi-Strauss

détruire & silence,2014

185 x 90 x 25 cm

various materials, glass, wood

détruire&silence - wilfried nail
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