WILFRIED NAIL, ÉCHAFAUDER DES FICTIONS OUVERTES
Texte Marion Zilio © 2017 Point contemporain
Wilfried Nail procède par fictions ouvertes, c’est-à-dire par l’instauration de récits potentiels, où les formes restent souvent inachevées, fragmentaires et déviantes, toujours prises dans une mémoire processuelle qui, à la fois, les dépasse et les déplace. De l’enfant à l’archéologue, en passant par le flâneur baudelairien, Wilfried opère par sérenpidité, arpentant le territoire à la recherche d’un « je-ne-sais-quoi ». Il observe, récolte, collecte, accumule, superpose. Parfois se laisse distraire comme pris dans une fuite en avant, puis oublie, laisse tout en tas. Si le tas évoque, chez Georges Bataille, le rabaissement des formes en s’installant tels un crachat ou un déchet, dans une sorte de régression où le diagramme est partout, il affirme chez Wilfried, un potentiel narratif capable de destituer une réalité asséchée par un ordre imposé. Car l’artiste échafaude, comme on crée des histoires, des installations précaires au devenir incertain.
Proches du display, ces structures d’accueil ou de rangements déploient leur membrane et relient les indices et les traces d’une collecte dont le réseau de sens est désormais décontextualisé et à inventer. En sortant de la circulation des objets de leur territoire d’origine, Wilfried devient le curateur de scenarii rendant possible de nouvelles relations aux choses et au monde. En cela, il pratique une politique de l’installation plus que de l’exposition, au sens où Boris Groys précise que le support matériel du média-installation est l’espace lui-même. Dès lors, tout ce qui est intégré dans cet agencement s’autosculpte, en devenant une composante de l’œuvre simplement parce qu’il y est placé. La distinction entre objet artistique et simple objet devient ici insignifiante. De la photo à la vidéo, en passant par la scupture et la prise de son, Wilfried agencent des collections en équilibre, où se rencontrent ruines du passé, nottament préhistoriques et antiques, et celles à venir. Ainsi des silex recueillis, lors d’une résidence en Tunisie, dans le désert Gafsien à des canettes collectées aux alentours d’un lac prétendu magique, d’un dessin réalisé à la cendre de ramadya (ces lieux de vie datant de la préhistoire) à la présentation d’un petit scarabée cristallisé se composent les contours d’une logique d’inclusion et d’exclusion, émanant d’un choix de lecture qui fonctionne par tiroirs. Bien que brinquebalant, l’échafaudage fait office de reliure, il tient les pages détachées de rami-fictions, contant l’histoire universelle et particulière d’un territoire à expérimenter.
De ce cheminement narratif, spatial et temporel, qui s’échafaude dans la verticalité et l’horizontalité, Wilfried déploie encore des microfictions, prenant elles, la forme incarnée de l’écriture. Dans le rejet d’un vocabulaire formaté, tenant davantage du chroniqueur que de l’exégète, Wilfried accompagne certaines de ses pièces de « narrations », dont le ton souvent emprunté à la nostalgie d’auteurs américains tels que James Elroy, Hubert Selby, Jack Kerouac ou Charles Bukowsky, ouvre sur un ailleurs. Ainsi en est-il de l’œuvre intitulée Se battre contre T.I.N.A., cette main courante accrochée sur un mur quasi inaccessible dont l’allégorie trouve sa justification dans une nouvelle dépeignant la dure réalité du quotidien, où chômage et alcool, ennui et fatigue des corps appellent le vide et l’absurdité. Si la lutte paraît vaine, si TINA, la tornade, « est l’acronyme de There Is No Alternative ; quatre mots insupportables qui cognèrent le monde et l’envoyèrent valdinguer pour qu’il s’écrase sur l’asphalte », Wilfried vise une intensité qui crée l’oublie, où la trace de l’ineffable n’existe plus.