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RENVERSE MOI L'ÂME

 

 

 

L'ennui habitait ces jeunes corps déjà fatigués d'un monde sans promesse. Je les voyais apparaître, marcher et tout détruire. Accolée à leur quartier sans éclat, la vieille cantine des chantiers STX, constituait leur soupape dérivative, une distraction, un déversoir, une sorte de parc Disney-Land trash où les potes de Mickey après qu'ils aient tout explosé, n'auraient laissé que des ordures et de la merde. Des centaines de fenêtres détruites avaient recouvert le sol de milliers d'éclat verre, laissant poindre une rivière de verre terriblement tranchante et attirante.


Sur l'ancien parking, lieu de rencard informel, des adolescents zonaient, déambulaient, attendaient, ils se croisaient, puis formaient un groupe. Les plus âgés se retrouvaient le soir autour d'un feu de camp alimenté par des tables, des chaises et des boiseries arrachées à la vieille cantine. Ils laissaient courir le temps dans cet espace interrompu, entre oisiveté et ennui, confusion et excitation, sans vraiment comprendre ni pourquoi ni comment. Au petit matin il ne restait que la carcasse de vieilles tables calcinées posées sur un tas de cendre; autour disposées en cercle, des chaises de classe intactes.

 

Quelques uns, plus jeunes, rencontrés alors que je parcourais ce lieu, me troquèrent une histoire contre ma rassurante protection d'adulte, je devrais jouer avec eux lors d'une expédition plus profonde dans les entrailles sombres et dégoulinantes du bâtiment.

 

Pendant plusieurs années leur père, leur mère, vivant dans un flux rythmé par le chantier STX, entre chômage et revenus modestes, y déjeunaient, certainement dans la salle 201. C'était le lieu central où les équipes de bâtisseurs des bateaux XXL se retrouvaient, organisaient les manifestations de leur lutte, mais le plus souvent mangeaient simplement.

 

J'observais ces jeunes débordant d'une énergie destructrice, se battre pour anéantir cette énorme cantine vide et absurde contre laquelle ils ne pouvaient que se révolter. Tout était méticuleusement détruit, plus rien n'était resté intact, tout avait été décomposé puis recomposé.

 

Il me sembla évident que quelque chose d'autre commençait. Leur puissance destructrice avaient crée un monde sans ordre, sans classement, sans administration, sans règle, un bordel chaotiquement délicieux aux formes riches, sauvages. Par un acte inconscient ils avaient manipulé des couleurs et des matières sans savoir précisément ce qu'ils engendraient. Pourtant des fauteuils étaient installés de sorte que l'on pouvait s'asseoir pour contempler ce qu'ils avaient généré. Poussés par quelque chose, ils avaient créé une forme d'œuvre monde imprécise où flottait une impression d'un gigantisme fabuleux, une résonance singulière dans une époque chaotique.

 

Je pense au texte Snow Dancing, dans livre de Phillippe Parreno, Speech Bubbles et à l'installation D'Anslem Kiefer, L'espoir accidenté.


 

renverse moi l'âme, 2014

photographies d'interventions in situ

renverse moi l'âme, 2014

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